LA FORME DE LA « SMART CITY » AU CŒUR DES PRÉOCCUPATIONS DES URBANISTES, DES INDUSTRIELS ET DES ÉLUS

 

Quelle souveraineté pour les élus et leurs collectivités vis-à-vis de la banalisation des plates-formes collaboratives ? Se dirige-ton vers une « confiscation » de l’action publique au profit de systèmes décisionnels autonomes de type Waze ou Coyote ? Cette question de la gouvernance des villes « intelligentes » était au cœur du petit-déjeuner des Assises du très haut-débit qui s’est tenu à Paris le 22 novembre dernier sous la présidence de Florian Bachelier, député (LREM) d’Ile-et Vilaine. Un débat « aux confins de la politique et de l’économie » rappelait Jacques Marceau, président de ces Assises, en guise d’introduction.

« L’enjeu politique dépasse largement la technologie. Il faut bien voir que la notion de cité est bien différente de celle d’une collectivité répondant aux attentes de consommateurs » relève Jean Haëntjens, un économiste et urbaniste chevronné, pour qui la confrontation s’exerce autour de trois grandes questions : la fiscalité, les solutions proposées et leur impact sur les systèmes urbains, avec qui et à destination de qui. Et notre urbaniste de constater que ces enjeux remettent en cause le pouvoir des élus dans un contexte où diverses approches, comme Songdo en Corée du Sud, se télescopent avec des visions industrielles différentes. Que ce soit IBM avec son approche très centralisée, Google qui attend de voir ce qui se passe ou Facebook qui privilégie l’impact des réseaux sociaux.

L’évolution de la gouvernance des villes est également au cœur de cette réflexion. Témoin, Francis Jutand, DGA de l’Institut Mines Telecom (IMT), pour qui « les citoyens reprennent le pouvoir par le biais de systèmes d’information de plus en plus performants dans un contexte d’augmentation sensible du nombre d’acteurs ou d’intervenants ». «  On change d’époque pour atteindre un imaginaire numérique où les citoyens agissent directement dans un mode coopératif et innovatif » souligne-t-il tout en insistant sur « la nécessité de prendre en compte ce nouvel imaginaire ».

Pour, Xavier Vignon, PDG de Sogetrel, une entreprise spécialisée dans le déploiement de réseaux FTTH, pour qui « la technologie permet de différencier les savoirs même si les « smart cities » ne doivent pas se résumer à cela. Le sujet, c’est de rendre la ville agréable ». « Aujourd’hui, la plupart des villes sont mal construites » constate-t-il. « Partant de là, il faut une direction centralisée des systèmes d’information avec une vision transverse et ne plus développer son réseau et ses applications chacun dans son coin au sein d’une même collectivité dans un contexte où il faut toujours faire mieux, plus vite et moins cher grâce aux technologies, que ce soit vis-à-vis des administrés ou au sein d’une entreprise » poursuit-il.

La parole est alors à Marc Charrière, secrétaire général de Nokia France, pour qui « on s’intéresse aux technologies jusqu’à ce qu’elles soient mures avant de s’en détourner ». Et de citer la future 5G ou plutôt « l’écosystème 5G » où la virtualisation des réseaux (en reportant leur intelligence vers des plates-formes) va créer un phénomène totalement disruptif dans un contexte où la confiance numérique et la cyber-sécurité deviennent des exigences croissantes, notamment au sein des collectivités.

Quant à Bernard Benhamou, secrétaire général de l’Institut de la souveraineté numérique (ISN), il cite d’abord cette phrase d’un célèbre article de Lawrence Lessig, professeur de droit à Harvard, selon laquelle « code is law and architecture is politics » (1). Il enchaine ensuite sur la volonté hégémonique des Google, Amazon, Facebook et Apple (GAFA) sur de très nombreuses thématiques, notamment celle de la gouvernance des « smart cities ». Et Bernard Benhamou de citer le projet de Google de Sidewalk Toronto (Canada) d’aménagement de cinq hectares de Quayside, une friche industrielle face au lac Ontario, pour les transformer en un quartier urbain intelligent avec une architecture soignée, notamment avec la construction d’immeubles en bois, et des capteurs partout. « Ce sont les nouveaux enjeux de la cité dans les années qui viennent » insiste-t-il.

Jacques Marceau pose alors la question de quels outils et de quelle maîtrise les élus disposent face à ces plates-formes et de qui va opérer ces services et avec quel contrôle ? Ce à quoi, Jean Haëntjens répond que « les élus doivent rester maître de leurs espaces physiques afin de préserver l’attachement culturel à ces espaces par opposition à la ville servicielle ». Et notre urbaniste de constater que des villes rachètent actuellement des librairies ou privilégient l’instauration de circuits courts dans leur approvisionnement. Xavier Vignon se demande ensuite si « nous voulons devenir des objets ou bien utiliser le progrès technologique pour obtenir des progrès sociaux ». Reste l’appétence des élus sur tous ces sujets. « Il faut surtout que les élus soient compétents dans ces domaines et ne pas opposer citoyens et consommateurs » poursuit Xavier Vignon pour qui « le citoyen a toujours été consommateur ». Le citoyen justement dont Francis Jutand estime que « le lobby efficace est d’abord celui effectué auprès de lui ». Gilles Brégant, le directeur général de l’Agence nationale des fréquences (ANFr), constate depuis la salle que l’appétence des collectivités pour tous ces sujets est d’une grande hétérogénéité : « vous avez des villes enthousiastes et d’autres qui le sont moins » raconte-t-il.n

(1) Code is Law – On Liberty in Cyberspace, janvier 2000 – Harvard Magazine

Henri Bessières journaliste indépendant, le 30 novembre 2018 –