ARIEL GOMEZ

Ariel Gomez

Déploiement de la fibre, où en est-on réellement ?

En avance, en retard, à l’heure ? Dans la bonne direction, à contre courant, ou en phase avec les prévisions ? Lorsque l’on veut faire un point objectif de l’état d’avancement du déploiement du très haut débit en France, la perspective varie sensiblement selon l’angle de vision choisi.

Pour certains opérateurs, si l’on en juge par le faible empressement dont ils ont fait preuve jusqu’à ici à faire la promotion de la fibre, et compte tenu des revenus confortables qu’ils tirent pour certains du réseau cuivre, il n’y aurait pas de quoi se précipiter. Pour le régulateur (comme l’explique Jérôme Coutant, membre du collège de l’Arcep dans l’interview à paraître le 9 juin dans le Hors Série THD de juin du Journal des Télécoms), « on peut considérer qu’on est dans les temps ». Certaines collectivités, pour leur part, considèrent que l’appel à manifestations d’intention d’investissement des opérateurs (procédure close le 31 janvier dernier) est une pierre dans leur jardin qui risque de ralentir, sinon de bloquer leurs projets pendant une longue période, même si les instances de concertation avec lesdits opérateurs existent.

Si l’on va chercher le « juge de paix » des chiffres, les derniers publiés par l’Arcep en mars, portant sur le dernier trimestre 2010 sont éloquents. L’addition des abonnés Haut Débit (ADSL, notamment) et Très Haut Débit (FTTx) s’élève à 21,3 millions, en augmentation de 7 % par rapport à l’année précédente. Pas mal pour un pays dépassant de peu les 63 millions d’habitants.

Mais arrêtons-nous sur le chiffre des seuls abonnés Très Haut Débit. Fin décembre 2010, on en comptait… 460 000 (+ 40 000 sur le trimestre), dont 115 000 en fibre optique jusqu’aux abonnés ou jusqu’aux immeubles (+ 10 000 sur la période) et 345 000 (+ 30 000) en fibre optique avec terminaison en câble coaxial. Là, le taux de pénétration du THD apparaît ridicule au regard de ceux de pays comme le Japon (58,1 % d’abonnés fibre) ou la Corée du Sud (50,9 %, chiffres issus du Digiword de l’Idate), voire d’un certain nombre de pays d’Europe qui ont largement dépassé la France.

Des prises, mais peu d’abonnés

Certes, ces chiffres ne reflètent pas en totalité le travail des opérateurs qui déploient leurs réseaux, puisque le nombre de prises installées (dites également « home passed ») dépasse très largement (dans un rapport de 1 à 10) le nombre des abonnés. Le nombre d’abonnés réels pourrait donc croître rapidement. Surtout dans les zones denses, puisque c’est là que se sont concentrés les efforts d’investissement des opérateurs.

Mais, aujourd’hui, objectivement nous sommes en retard. A la fois dans la conversion en abonnés des prises déployées dans les zones denses, et dans le déploiement tout court dans les zones moins denses.

Dès lors, faut-il se dire qu’un retard de quelques mois n’est rien lorsqu’on bâtit, selon l’expression consacrée, « le réseau des cinquante prochaines années » ? Ou alors, en regardant de plus près les différentes raisons de ce retard, qu’on prend un mauvais chemin ? La France ne risque-t-elle pas d’entrer dans une spirale qui enrayera la dynamique engagée par de nombreuses collectivités dans les zones moins denses pour assurer elles-mêmes la couverture numérique de leurs territoires ? Le temps de latence introduit aujourd’hui dans les projets des collectivités par les déclarations d’intention d’investissement des opérateurs peut-être utile à la réflexion et à la concertation. Mais il peut aussi conduire les opérateurs à prendre une avance que les collectivités ne pourront jamais rattraper, alors qu’elles étaient les premières sur les starting blocs… Les semaines et les mois à venir seront décisifs en ce sens, c’est maintenant que l’avenir du THD se joue en France.

Ariel Gomez